samedi 13 mars 2010

Le fort du Loc'h à Guidel dans « Interventions à Haute Voix » n 45


De l'ombre à la lumière

 
Sur la route côtière lorientaise, entre le Fort-Bloqué et le Bas-Pouldu (ou le trou noir en breton), le Fort du Loch, est posé sur la lande, face à l'océan. Dans L'Amour fou, André Breton, évoque une promenade sur cette côte avec sa compagne, le 20 juillet 1936, et le malaise angoissant ressenti aux alentours du sinistre bâtiment. De retour chez les parents, à Lorient, la conversation s'oriente, sans qu'ils aient évoqué cette triste promenade, vers le crime commis en 1933 par le propriétaire de l'époque : Michel Henriot, éleveur de renards argentés, tua sa femme et fut condamné aux travaux forcés. Le poète surréaliste affirme que ces lieux à l'empreinte maléfique dégagent un «halo » ainsi que Cézanne a voulu le peindre avec La maison du pendu.
Ce petit fort construit au dix-huitième siècle pour protéger le port de Lorient des attaques anglaises, n'a jamais eu à remplir cette fonction. Mais il fut occupé par l'armée allemande pendant la dernière guerre, devenant partie intégrante du mur de l'Atlantique. La mort, la haine et la violence auront renforcé son aura déjà si sombre.
Quand je l'ai découvert à mon arrivée au Pays de Lorient, au début des années quatre-vingt, je lui trouvais un charme romantique et celtique à la Chateaubriand, vieux fort abandonné au milieu d'une lande rase battue par le vent d'ouest et les embruns. D'après ce qu'on m'a raconté, il servait surtout aux jeunes amoureux dans les années soixante, c'était un des rares endroits où ils pouvaient se cacher des parents. Beaucoup y ont laissé les souvenirs de leurs premiers flirts, les amours de jeunesse clandestines ayant fait fuir les fantômes sinistres des années noires.
Aujourd'hui, il est méconnaissable. Il a été entièrement rénové par l'actuel propriétaire, les murs sombres des deux corps de garde sont maintenant recouverts d'ocre jaune, face au soleil, beau contraste sur les dunes grises. L'espace enclos entre les murailles est tapissé d'une pimpante pelouse, le propriétaire fait pousser radis et salades dans deux jardins microscopiques et jumeaux, le long des deux bâtiments symétriques.
Les dunes alentour, ainsi que le marais, le loch, sont une zone protégée où poussent une orchidée, l'epictatis des marais, le raisin de mer, le géranium sanguin, l'immortelle des sables, le panicaud, et où on trouve une libellule rare, l'agrion de Mercure.
Tous les étés, une grande salle accueille des expositions de peinture exceptionnelles. L'exposition de l'été 2009 est consacrée au peintre Jean Couliou (1916-1995). Les cimaises sont accrochées dans un des deux bâtiments du corps de garde, sur deux étages en mezzanine. Dès l'entrée, on est nimbé par l'impression d'espace, on est enveloppé par un bain ouaté de lumière, celle qui vient des fenêtres au soleil d'ouest, et celle qui émane des tableaux. Sur cette grande toile, un marais salant : le peintre sculpte le noir pour capter chaque particule lumineuse, puis saupoudre cette matière noire de pépites de lumière. Il spiritualise la matière, exprime « l'or du temps » que cherche toujours André Breton, et qui émane aujourd'hui de l'esprit des vieux murs.

 
Le Fort du Loch, juillet 2009
Mireille Le Liboux
© Interventions à Haute Voix n°45, 2010.

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